Le veuvage

Vivre son deuil

 

Sommaire :
1) Questions / réponses
2) Apprivoiser la mort (résumé)


1) Questions / réponses :

Le deuil peut il être comparé à un divorce ou à une séparation ?

La perte d’un être cher n’est pas une séparation comme les autres parce qu’elle est définitive et qu’elle fait passer une relation du côté de l’histoire révolue d’une personne. Dans la séparation, l’espoir, même illusoire peut persister et l’avenir n’est pas grevé de la sanction liée à la mort : jamais plus je ne le reverrai.
Le divorce ou la séparation peuvent en revanche entraîner un travail de deuil des fantasmes entretenus jusqu’alors avec l’être aimé. Mais il s’agit ici d’une analogie puisque l’espoir de retrouver l’autre peut être confié au hasard.

Le travail de deuil est absolument incontournable pour tolérer l’absence et le vide créé par la mort. C’est une longue étape qui consiste à revenir en pensée et en souvenir sur l’ensemble de la relation. Le travail de deuil est souvent très douloureux ; mais il peut aussi permettre de retrouver des souvenirs heureux et, comme le disent les psychologues humanistes de grandir mentalement ou de croître mentalement. Il s’agit ici d’intérioriser la relation avec l’autre et de tolérer l’indépendance de ce dernier, y compris dans son absence.
L’aptitude au deuil est la clé de cette capacité à vivre ses deuils plus tard, elle se développe avec les premières séparations de l’enfance. En cela, la nature des attachements premiers est fondamentale, souplesse des parents, tolérance quant aux premières prises d’autonomie de l’enfant et sécurité sont les principes forts de cette aptitude au deuil qui facilitera le travail de deuil et limitera les complications du deuil comme la dépression chronique, les maladies physiques qu’on laisse se développer par abandon ou les prises de risque superflues parce qu’ « à quoi bon … »

Les grandes étapes du deuil ?

On ne peut pas dire que les étapes du deuil soient chronologiquement toujours semblables, mais elles se déroulent souvent sous la forme de :
- La sidération et l’impuissance devant l’événement totalement inassimilable dans un premier temps,
- La révolte et le questionnement concernant les circonstances de la mort. Il est très important alors d’avoir des informations sur les circonstances de la mort,
- La dépression, qui survient généralement après les funérailles, du fait de la sollicitation émotionnelle engendrée par les retrouvailles avec le groupe familial ou social,
- L’acceptation, possible après quelques mois, parfois jamais lorsque l’incompréhension, la révolte dominent.
- Les rechutes éventuelles dans la dépression lors des dates anniversaire.

Quelques conseils pour accompagner les enfants en deuil d'un parent :

- Premier conseil : Qu’il soit clair dans la famille qu’un enfant en deuil ne s’exprimera que s’il a l’autorisation tacite de pleurer et de poser des questions.
Une réunion familiale doit solliciter les souvenirs de tous autour du parent défunt et aider l’enfant à se souvenir également des souvenirs heureux et moins heureux.

- Les enfants en groupe s’entraident souvent et la participation à ce type d’atelier est une bonne chose car hélas , à l’école il est souvent impossible de parler aux camarades de ce qui s’est produit.
Pire encore parfois, les enseignants sont maladroitement intrusifs et ce délicat équilibre nécessiterait des réflexions de groupe sur le sujet. (j’ai préfacé en 2000 le livre « Dis maîtresse, c’est quoi la mort » chez l’Harmattan, qui traite exactement de ce sujet).

- Dernier conseil, soutenir l’enfant dans sa dernière visite au parent défunt, l’accompagner, répondre à ses questions, l’entourer. Insister sur les commémorations.
Les enfants sont souvent très imaginatifs et les laisser inventer un nouveau type de célébration du souvenir ou de fête autour du souvenir est une excellente chose.

2) Apprivoiser la mort – résumé.

La mort fait peur. Elle suscite l'incompréhension, provoque des réactions de fuite, des attitudes de rejet.
Comment accompagner ceux qui s'en vont ? Comment limiter l'isolement de ceux qui restent ? Comment atténuer les complications psychologiques liées au deuil ? Comment rendre à la mort sa juste place ?

Marie-Frédérique Bacqué montre en quoi l'apprivoisement de la mort passe, pour chacun d'entre nous, par le rétablissement de la dimension symbolique et sociale de la perte et du deuil.
La question devient alors celle-ci : comment une société ayant atteint un certain niveau de développement peut-elle, à l'aube du XXIe siècle, se représenter la mort pour la rendre tolérable ? Faut-il inventer de nouveaux rites, de nouveaux gestes, de nouveaux symboles ? Et si oui, lesquels ?

Un deuil pas comme les autres
Le deuil d'un enfant revêt une dimension particulière car il touche à ce qu'il y a de plus précieux dans la famille. Il concerne ce qu'il y a de plus fragile, ce dont les parents sont responsables. Le traumatisme de perdre un enfant se situe dans le fait qu'on lui a donné la vie, et qu'à présent on doit accepter qu'il disparaisse. C'est terrible. Et puis, il y a l'idée classique, mais réelle, que ce n'est pas dans l'ordre des choses.

Etat de choc
Les parents qui ont perdu un enfant passent par plusieurs étapes incontournables qui durent plus ou moins longtemps selon les circonstances. La première phase est celle du choc absolu. On ne peut pas réaliser la mort. Les parents sont dans un état de sidération totale. C'est pour cela que je conseille aux parents de voir l'enfant, de le toucher, et éventuellement même de lui apporter les derniers soins. Beaucoup de parents ont besoin de ces derniers gestes, de prendre leur enfant, de l'embrasser, de l'habiller. Ce sont des moments indispensables parce qu'il y a une irréversibilité, après c'est fini, terminé. Apporter ces soins peut parfois aider à sortir de la sidération.

Du délire à l'isolement
Beaucoup de parents versent dans le délire. Ils ont l'impression de devenir fous. Ils ont des hallucinations presque amnésiques. Certains croient voir leur enfant. D'autres vont avoir besoin de s'isoler pour rester dans la mémoire de leur enfant disparu. L'isolement est une réaction normale de l'individu qui souffre. La mort d'un enfant est une rupture brutale, donc, au changement de la mort, il donne un autre changement : se retrouver seul.

Ils vont avoir besoin de chercher des moments, des endroits où ils étaient avec leur enfant. Ils ne rejettent pas forcément les autres, mais ils se recentrent sur l'enfant défunt et sur eux-mêmes. Et c'est ce qui explique aussi le besoin pour certains de faire un culte de l'enfant mort, avec des photos ou autres objets lui ayant appartenu. Le père ou la mère reporte alors sur les objets l'amour qu'il ou elle a eu pour cet enfant. C'est une étape presque systématique du deuil initial.
Après, ils seront capables de se séparer de ces photos. Même si ça dure, même si c'est parfois extrême, il ne faut jamais de forçage. C'est un processus qu'il faut respecter. Normalement, au bout d'un certain temps, on parvient à donner les affaires. Ça vient quand c'est le moment.

L'incontournable culpabilité

Une autre étape importante est celle du vide. Pour les parents, le moment de la séparation physique avec le corps de leur enfant est terrible. La fermeture du cercueil est très douloureuse. C'est le moment où le vide, le manque apparaît. Les parents entrent en général alors dans une phase de dépression, ou plus exactement de chagrin. C'est la rupture d'attachement. Ça fait horriblement mal de perdre un enfant, d'autant plus que l'enfant est fragile. Il a besoin d'être protégé. Le parent en est responsable, donc sa disparition remet forcément le parent en question. "J'aurai dû" revient toujours. C'est là qu'intervient le sentiment de culpabilité.
Quelque soit la cause du décès, les parents culpabilisent. C'est souvent : "je l'ai mal aimé, la preuve il est mort", ou d'autres questions ruminées, remâchées, toutes sortes d'hypothèses. On essaie de trouver des causes, même dans les décès par maladie. Les questions taraudent sans cesse, les parents s'accusent. Ça fait partie de la phase du chagrin. Il y a dans tous les cas une responsabilité du parent réel ou fantasmatique. Même dans le cas d'un assassinat, le parent se sent responsable : il s'accuse de ne pas l'avoir surveillé, de ne pas avoir été là... Dans le cas d'un suicide, forcément la culpabilité est encore plus importante. Se donner la mort vient contredire le simple fait d'être parent puisqu'il a donné la vie. En fait, en se suicidant l'enfant lui a quasiment dit : "je mets fin à la vie que tu m'as donnée". Donc c'est terrible, très très lourd.

Petits ou grands : même traitement


Il n'y pas forcément de différence entre perdre un enfant en bas âge et perdre un enfant déjà grand. Si ce n'est que le petit enfant décédé est beaucoup plus idéalisé. On ne sait pas comment il aurait été plus grand, il est fantastique… S'il est décédé nourrisson, il n'y a pas eu de relation avec l'enfant, il n'y a pas d'empreintes, ce qui peut être plus simple pour certains.
En même temps, la grande difficulté est de faire le deuil d'un fantasme puisque l'on s'est projeté pendant 9 mois dans la naissance de cet enfant. Quand il est plus grand, il y a de quoi faire avec une histoire, avec des éléments parfois négatifs. A priori, on est donc moins dans un idéal. Lorsque l'enfant est plus grand, on se détache moins difficilement du personnage, on ne se demande pas comment il aurait été, à quoi il aurait ressemblé. Cela paraît dur à dire mais on sait par exemple quel adolescent difficile il a été, qu'il a pu nous en faire baver... Sans que l'on s'en rende compte, tout cela aide à ne pas idéaliser.

Dommages collatéraux

Sur la fratrie...
Quand on perd un enfant, on désinvestit tout le reste, notamment les autres enfants. Il y a une idéalisation de l'enfant décédé et donc un désintérêt pour les autres. Sans compter que le parent est déprimé, change de caractère, ce qui est très dur à gérer pour la fratrie. Mais parfois la culpabilité liée à la mort de l'enfant va rendre le parent plus protecteur, parce qu'il va avoir peur de perdre les autres enfants.

Sur le couple...
Suite à la perte d'un enfant, un couple a souvent du mal à communiquer. Parfois le sentiment de culpabilité se transforme en un rejet des fautes sur l'autre. On a le sentiment que l'autre ne comprend pas la douleur que l'on ressent. Le deuil est très individuel. On ne peut pas communiquer là-dessus. Il ne faut pas forcer la discussion. La mort reste tabou et donc ce n'est pas naturel d'en parler.

La perte d'un enfant s'inscrit parmi les échecs d'une vie, donc c'est extrêmement dur d'en parler.
Certains ont besoin de parler, d'autres de se replier. Bref, le couple n'est pas toujours sur la même longueur d'onde. D'un point de vue général les hommes ont souvent plus de mal à parler. Ils ont une pudeur, peut-être liée à l'angoisse de se montrer faible.

L'enfant de remplacement
Certaines mères ressentent le besoin de faire un enfant tout de suite après un deuil. A partir du moment où le travail de deuil est suffisamment avancé, pourquoi pas, mais si on le fait avant dans le besoin instinctif, c'est plus compliqué. Une maman qui est en deuil va être dans un état ralenti. Si elle est dans une situation de dépression, sa relation va forcément en pâtir. L'attente après le décès est nécessaire sinon la mère ne réussira pas à aimer parce que son énergie sera encore attachée à l'autre enfant. Quoiqu'il en soit, l'enfant qui viendra après doit savoir ce qui s'est passé. Si on l'emmène parfois au cimetière si on commémore la mort de son frère ou de sa sœur, il le saura, le comprendra. Il faut que ce soit naturel, pas forcé.

Il faut du temps
Il n'y pas de temps de deuil. Le temps du deuil est incompressible. On ne peut pas accélérer les choses. La phase du chagrin est très très lourde. En général, elle dure au moins jusqu'à la première date anniversaire de la mort. C'est très important d'ailleurs de faire une commémoration de la mort de l'enfant. D'être de nouveau entouré par toute le famille, c'est vraiment important. Mais il y a toutes les dates anniversaires qui réactivent le chagrin. Le travail de deuil consiste à ne plus être dans une situation émotionnelle de détresse quand on évoque l'enfant.
Cela signifie que l'on peut parler de lui sans plonger dans la crise. Mais "deuil" ne veut pas dire oublier, mais arriver à ce que l'enfant fasse partir de l'histoire de la famille, d'une certaine époque et que cette histoire continue sans lui.
C'est extrêmement difficile mais il faut réussir à se dire : "J'ai vécu avec mon enfant pendant 15 ans, maintenant c'est un autre chapitre de ma vie qui démarre". Mais il faut dire qu'une fois le travail de deuil terminé, c'est possible. C'est possible de ne plus souffrir le martyre à l'évocation de l'enfant mort. Certains parents y parviennent.

Il n'y a pas de "trucs" pour faire le deuil, mais on peut y arriver. En travaillant dessus, on a surtout compris que l'accompagnement était essentiel. Il faut être très entouré.

Marie-Frédérique BACQUÉ,
Docteur en psychologie et professeur de psychopathologie clinique
à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, 67000
Vice-présidente de la Société de thanatologie
Maître de conférences à l'université de Lille

Association "vivre son deuil"
Ligne d'écoute : 01 42 38 08 08

http://vivresondeuil.asso.fr/

Association "vivre son deuil"

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